Le Médecin des Morts
Le médecin des morts écoute à fendre l’âme
Les plaintes déchaussées, les folles jérémiades
Des fantômes perdus dans leurs pensées malades
Et le chant désolé de leurs épithalames
Il prend leur pouls, il les ausculte
Si le coeur fait semblant de battre
Il diagnostique une rechute
Une envie de vie qui s’attarde
Des brandons mal éteints, par delà, qui musardent
Un retour des amours défuntes qui chahutent
Le temps les a battus comme pluie, comme plâtre
Et la poussière au vent, lentement, les occulte
Le médecin des morts, au lieu de les absoudre
Aime les assassins qui n’ont pas de remords
Ceux qui sentent le feu, ceux qui sentent la poudre
Ceux qui sont fiers enfin d’avoir le diable au corps
Dans le salon cossu de sa maison de Londres
Ils attendent debout sous l’oeil des candélabres
Accoudés sur le bord de cheminées de marbre
Assis sur des sofas dont les sièges s’effondrent
Il y a là des marquis et des pages pervers
Des cavaliers défaits sur les champs de bataille
Des savants fous hantés par les chiens de l’enfer
Des nymphes bleues nichées dans le flanc des murailles
Le médecin des morts n’a pas un sou en poche
Mais il connaît par coeur les onguents qu’il leur faut
Pour réparer les plaies que fait la grande faux
Quand elle frappe au hasard les passants qui l’approchent
Il distille un venin qui sème la discorde
Un parfum de regrets, de fleurs, de thé anglais
Il envoûte leurs âmes avec des mots qui mordent
Il leur parle d’un temps qui ne passe jamais
Trois gouttes de girofle et trois de passiflore
La tisane est amère, il faut boire en silence
En mâchant lentement des doigts de mandragore
Et la mort les reprend dans son désir immense.