Histoires courtes

La véritable histoire de la Mère Michel

”Qui c’est qui lui rendra ? Qui c’est qui lui rendra ?….”

– Elle décanille complètement, la vieille, elle déboîte du ciboulot, elle s’en va de la cafetière !”

-Un peu de respect, môme, c’est une vieille guimbarde la mère, elle fait de l’huile, qu’esse tu veux ! Y’a ben longtemps qu’on n’a plus les pièces de rechange. Et pis elle perdu son chat !”

-Encore ? Ça fait trois fois ! “

-Mets-toi à sa place, ç’te pauv’ bête, qu’est-ce que tu ferais ? “

Deux jours qu’elle beuglait à sa fenêtre, la mère Michel, matin, midi et soir, deux jours qu’elle sonnait l’Angélus comme une grosse cloche. Elle ouvrait ses deux battants, plantait les coudes dans les géraniums et hurlait à la mort : “Minou-minou-minou Petit Minou Minou-minou !” Ou bien elle s’effondrait en larmes en inondant les géraniums d’eau salée,  elle sanglotait :“Qui c’est qui lui rendra ?!”

Ben, qu’esse tu ferais à sa place ? Il ferait rien Gavroche, il y serait pas, à la place du chat. Une sale bête de sale caractère, il avait été élevé comme ça. Faut  comprendre. Toute la journée elle lui gueulait dessus : “fais pas ci, fais pas ça, viens ici, mets toi là”. On entendait les torgnoles qui s’abattaient sur les coussins du canapé, il était encore assez leste pour esquiver les coups de battoir, il filochait, il ruait dans les casseroles. “Attends que je t’attrappe !” Il devait se planquer sous les meubles, au-dessus des armoires, dans des boîtes à chaussures.  Mais c’est tout petit, chez la vioque, elle finissait toujours par mettre la main dessus. On se demande qui est la plus sale bête des deux. 

D’autres fois, c’était pire elle dégoulinait d’affection, elle lui faisaitt des mamours, des gouzis-gouzis, des gratouilles, des “qui c’est mon gros matou ?” Mais trouve-toi un mec, nom-d’un-chien-de-nom-d’un-chat ! Il détestait ça. Sans compter ce nom ridicule qu’elle lui avait collé dessus : Mistigri ! Elle le prenait pour un chat de gouttière ? Un british shorthair de noble extraction, élevé pour les plus aristocratiques demeures, les moquettes profondes et les bibelots rares, les coussins de soie et les rideaux de velours, un chat délicat qui marchait avec distinction du bout des coussinets… “ Mistigri “? Quand elle ne lui donnait pas du “mon gros pépère” ! En plus, elle puait la soupe aux poireaux et la vieille sardine ! Alors, il se sauvait. A chaque fois qu’il pouvait. Et elle pleurait qu’elle était malheureuse et que personne ne l’aimait. Ce qui était vrai.

-Eh la mère, faut pas vous mettre dans des états pareils, c’est pas bon pour vous, pis pas bon pour les géraniums vous allez les noyer, on dirait des nénuphars, pour un peu il y pousserait des grenouilles.  Il va revenir, si ça se trouve, votre chat.

-C’est une sale bête, père Lustucru !

-Justement. Il pourrait bien revenir.

Le père Lustucru, c’était le marchand de pâtes du coin de la rue. Pâtes, oeufs et fromages. Il ne s’appellait pas vraiment Lustucru, son vrai nom c’était Eugène Lampoule, mais il préfèrait qu’on lui donne son nom de pâtes. “Lampoule”, ça prête le flanc aux quolibets. Il se tenait souvent devant sa boutique, avec son gros tablier bleu qui lui barrait le ventre et un crayon rouge sur l’oreille, pour faire genre. Quand on entrait chez lui, il y avait une clochette qui faisait ‘ding” et sa grosse voix bourrue qui faisaitt “Bien l’bonjour” comme on dit ”V’nez pas m’faire chier !” Il vendait des trucs, mais fallait lui demander plusieurs fois. Il n’était pas du genre à se jeter sur le client. A part les pâtes, il aimait bien vendre des pâtes. Quand on ne savait pas quoi acheter, on repartait avec des pâtes. Il connaissait bien le matou. Des fois il s’échappait, il venait traîner vers  la boutique pour voir s’il n’y aurait pas quelque chose à chaparder. Il fallait le chasser à coups de manche à balai, mais le griffon se rebiffait, alors c’était la bataille. De là à imaginer que l’épicier lui avait filé un mauvais coup de crosse et l’avait estourbi pour de bon …

-Faut faire quéqu’chose, Vieux, on peut pas la laisser gueuler comme ça, elle m’écorche les oreilles ! 

On ne savait pas que le môme était sensible des esgourdes à ce point. Gavroche, on l’appellait. Une petite crevette, un moustique. On avait l’impression qu’il ne grandissait pas. En tous cas, pas assez pour rattraper sa culotte et sa veste qui restaient toujours trop grands pour lui. Comme sa casquette et ses croquenots. Mais ça ne l’empêchait pas de gambiller. Et de balancer sans faire exprès, des mandales aux grands qui lui avaient fait des misères et qui ne s’y attendaient pas. Il avait la rancune tenace et le geste impulsif. D’autres fois il allait jouer dans les terrains vagues. Il attaquait les rats à coups de pierres, pour se distraire.  Pourvu qu’il n’ait pas ratatiné le chat de la mère Michel en le prenant pour un surmulot, un accident balistique est si vite arrivé, après on regrette, mais trop tard. Un gosse de la rue, Gavroche. Il n’avait pas connu son père et ça vallait mieux, c’était pas un homme du monde. Y’a deux choses que son daron n’aura jamais croisé dans sa vie : un verre de flotte et son fils. Sa mère faisait des ménages, elle ne pouvait pas garder un œil sur lui. Il n’allait pas beaucoup à l’école. Ça lui évitait de ramener des mauvaises notes à la maison. Il allait où il voulait. Et où il voulait, c’était souvent  chez le marchand de pâtes. Il rendait des services, il  rangeait les rayons. On ne voyait pas bien la différence entre avant et après, mais puisqu’il disait qu’il l’avait fait, c’est qu’il l’avait fait.

-T’as raison, gosse. Bon, la mère Michel, vous avez une photo de votre minou ? 

On avait évité le pire. Mais c’est bien une photo de son chat. En gros plan et à moitié flou, avec la mégère en fond d’écran qui faisait un sourire de dents concassées. On allait faire avec. Les deux compères filèrent chez Copy 2000 tirer deux cents tracts avec la photo et ce message énigmatique : “Wanted. Chat Perdu. Forte récompense de fromages et de pâtes”. On se donna rendez-vous le lendemain, on allait faire une battue. Dès potron-minet, naturellement. La mère Michel était descendue de sa fenêtre. De près, elle était encore plus impressionnante. Une Panzer-walkyrie ! Avec ses grosses paluches de lavandière et son tablier qui ressemblait à une toile de tente, on avait l’impression de bivouaquer en rase campagne. Elle était le gros de la troupe à elle toute seule. Elle avait l’œil mauvais et le sourcil féroce. Mais au moins, elle ne chialait plus. 

Lustucru avait pris les choses en main. On allait quadriller le quartier, avec des numéros pour chaque rue. “-Comme à New York ? ” “-Si tu veux, môme”. Deux par rangée et on avancerait ensemble sans jamais se perdre de vue. On partit au coup de sifflet, il y avait quatre équipes. La mère Michel houspillait tout le monde en criant “Qui c’est qui lui rendra ? Qui c’est qui lui rendra ? “ Mais elle ne marchait pas vite, alors les autres l’esquivaient. “Restez dans votre rangée, la mère !” tonnait Lustucru “sinon on va le rater”. On regardait partout, on posait des affichettes. Comme on n’en avait pas beaucoup, on collait seulement aux carrefours et dans les endroits très visibles. Si ce chat était quelque part, on allait le trouver. Sauf qu’un chat, quand il ne veut pas, il est nulle part. 

Ah si, on en a trouvé, des chats ! Le premier longeait le trottoir côté façade sans rien demander à personne, quand la mère Michel s’est mise à hurler dessus comme une truie en train de véler : “C’est lui, c’est lui”. Personne n’avait vu quoi que ce soit, elle est partie à courir avec la vélocité d’un train fantôme dévalant le précipice de la mort. Se sentant poursuivi par un destin fatal, le miron plongea dans la circulation et traversa le carrefour comme une fusée de détresse. N’écoutant que son absence de jugeote, la mère se jeta après lui, mais au moment de prendre son élan, glissa sur une plaque d’égout et partit en vol plané, à la rencontre d’un autobus qui arrivait par la rue Magenta. Le choc fut effroyable. On entendit un grand fracas de tôle  froissée, un hurlement de freins qui crissent, un choc mou et sourd, comme une cargaison qui tombe d’un camion. Le temps s’arrêta un instant. Les passants, immobiles, se tournaient vers le lieu du drame, hoquetant de stupeur, retenant leur souffle, implorant les dieux d’un peu de mansuétude, d’épargner au moins les femmes et les enfants. L’avant de l’autobus était défoncé, le pare-brise avait volé en éclats, de la ferraille tordue s’échappait du moteur. Il en sortait une épaisse fumée noire, une odeur de caoutchouc brûlé et des jets de vapeur par intermittence, comme pour une cocotte-minute qui vient d’exploser. Les passagers commençaient à s’extraire un à un par les issues de secours, encore hébétés par le choc, et s’approchaient prudemment pour constater les dégâts. 

Quant à la mère Michel…elle s’est relevée. S’est assise sur son séant pour en éprouver la stabilité. A épousseté quelques débris mécaniques éparpillés sur sa robe. S’est redressée péniblement sur ses jambes, a mouliné des bras pour vérifier la concordance des membres. Mais non. Aucun dommage ni collatéral ni colorectal, rien de cassé. L’autobus avait eu un accident, pas elle. 

-Ben quoi, qu’est-ce que vous avez à me regarder comme ça? Vous n’avez jamais vu une dame prendre l’autobus ? Allez-allez, laissez moi passer. Il est où, ce chat ? 

Tu parles, le matou s’était tiré depuis longtemps ! 

Elle en trouva un autre. Il dormait tranquillement sur le bord d’une fenêtre au rez-de-chaussée d’un immeuble. Il ne ressemblait pas du tout à un british shorthair, mais on n’en était plus à ça près. Elle s’en approcha avec des ruses de sioux, par derrière, sous le vent, en glissant le long de la façade. Avant qu’il ait eu le temps d’émerger de sa sieste, elle avait mis le grappin dessus. L’animal eut beau se rebiffer, grogner, sortir les griffes, se cabrer, coincé entre deux mamelles monumentales, il n’avait plus le choix qu’entre mourir étouffé ou accepter son triste sort. “Minou-minou-minou, Petit Minou, mon Minou”. L’affaire aurait pu en rester là.  Les deux protagonistes auraient peut-être fini par faire la paix. Elle l’aurait ramené à la maison et il aurait remplacé le déserteur, jusqu’à ce qu’il se décide à déserter à son tour. C’était sans compter sans la légitime propriétaire qui avait surpris le manège. Elle sortit de sa loge, en furie, armée d’un balai brosse hérissé de picots et d’une pelle à poussière au tranchant métallique : 

-Pose ce chat tout de suite, espèce de pouffiasse !

Il y avait bien longtemps qu’on n’avait pas traité la mère Michel de pouffiasse et la dernière fois, ça s’était mal passé. Elle posa la chat délicatement sur le sol. Elle se mit en ordre de bataille, campée sur ses arrières, dans la position du sumo attendant le tachi ai. Elle chercha en vain une arme dans son tablier, quelque chose qui puisse rivaliser avec un balai et une pelle, un épluche-légumes, un rouleau à pâtisserie, une fourchette à gigot. Mais rien, elle était partie sans rien, étourdie par l’émotion, baignée de larmes, le cœur en ruine et pas du tout d’humeur guerrière. Rien sauf ses deux grosses paluches qu’elle se mit à taper l’une contre l’autre, comme dans l’arène quand on sonne la mise à mort du taureau. Elle  regarda son adversaire droit dans les yeux, elle aurait voulu la réduire en poussière. Mais on ne réduit pas en poussière la concierge de l’Hôtel des Postes, qui en a vu d’autres, et des pas piquées de hannetons. Face à face la mère Michel, une grande bringue toute en sos, sèche comme un fil de fer qui aurait grandi sur une tringle à rideau,  mais souple et nerveuse comme un fouet qui claque. L’une, vive, mobile, sautillante, l’autre massive, sûre d’elle, infranchissable. La concierge fait passer son bâton d’une main à l’autre, en cadence, on ne sait pas par quel côté elle va attaquer. L’autre la cherche du regard, essaie d’anticiper. Si elle arrive à la choper par le bout de sa robe ou par ses cheveux, à la serrer dans ses bras énormes et à l’étouffer, c’en est fini de la petite maigrichonne. Un premier coup de manche à balai s’abat sur le trottoir, mais à vide, la mère a su l’esquiver. On ne l’aurait jamais cru capable d’une telle agilité, elle a sauté comme une chèvre. Mais le deuxième l’atteint dans le gras du bide et ça fait mal. On la sent plier sur le coup. Heureusement elle a le réflexe d’attraper le manche à deux mains et de le tirer vers elle. La maigrichonne est à sa portée  maintenant et les grosses paluches commencent à s’abattre. 

A ce moment-là, attiré par les vociférations du public, on vit se pointer un sergent de ville monté sur une bicyclette.

-C’est quoi, ça ? fit Gavroche.

-Une hirondelle, fit Lustucru. 

-Elle vole pas haut, rétorqua le môme. 

Le pandore descendit de son biclou, se lissa la moustache, attrapa son sifflet réglementaire et se mit à striduler dedans. Ça fit comme une douche froide. Les belligérantes se figèrent sur place. Alors il s’avança vers elles, armé de son gourdin de la paix. 

-Personne ne bouge. S’il y en un qui moufte, je lui dégomme les ratiches. Qu’est-ce qui se passe ici ? 

Tout le monde parlait en même temps. Il était question de chats mais on ne savait pas combien et pourquoi il fallait courir après. Il était question de concierge, d’autobus et de marchand de pâtes. Tout cela n’expliquait pas pourquoi ces deux mégères voulaient en finir avec la vie mutuellement et réciproquement.

-Allez Mesdames, ça suffit maintenant, on reprend ses esprits et on rentre chez soi. 

Les dames ont mis un moment à comprendre qu’on s’adressait à elles. D’habitude, on leur donnait des titres beaucoup moins respectables. Mais chacune avait un chat à retrouver et elles avaient fini par admettre que ce n’était pas le même.

-Et puis circulez vous autres, on est pas au cirque Pinder, le spectacle est terminé. 

Apercevant Gavroche : 

-Mais dis-donc toi, tu ne serais pas mieux à l’école ? 

-S’il y a un  endroit où on n’est pas mieux, c’est bien là.

– Ça ne va pas du tout, observa Lustucru, on s’y prend mal

Il réunit l’état-major au coin de carrefour, devant le kiosque à pisse qui était le seul repère visible. 

-On ne va pas courir après tous les chats du quartier, ce qu’il nous faut, c’est de l’information, le nerf de la guerre, il faut poser des questions. Il y a bien quelqu’un qui aura vu quelque chose.  Les prospectus, on les garde pour nous, on les montre, on demande. 

On reforma les équipes en quadrille et on se remit à ratisser le quartier. On interrogeait tout le monde, les boulangères, les épicières, les marchands de légumes et les marchands de fleurs, les camelots, les marchands à la sauvette et même les dames qui ne vendent que ce qu’elles ont sur elles. Tout le monde en avait vu des chats, mais comme celui de la photo, non. 

-C’est quoi, comme chat? On dirait celui de la reine d’Angleterre.

-Tu sais ce qu’elle te dit, la reine d’Angleterre ? 

A chaque carrefour, on se faisait des signes pour s’assurer que tous avancent à la même vitesse. Vers onze heures, il fallut se rendre à l’évidence, une équipe manquait à l’appel. Ils ne devaient pas être loin. On les avait perdus depuis moins de cinq minutes. On fit des cercles en escargot et on les retrouva au café des Voyageurs. L’un des deux, surtout. L’autre le tirait par la manche : “Père Etienne, voyons, il faut partir maintenant, ils vont s’inquiéter. “ Le père Etienne était un ex-agent de la SNCF qui avait exercé comme chef de gare sur les lignes de banlieues. Il avait gardé le sens du métronome. Chacune des ses journées était réglée comme celles de l’indicateur Chaix, si un train devait partir à 17h18, il partirait à 17h18, c’est tout. A 7 heures c’était le café,  à 11 heures, c’était l’apéro. Un Martini blanc, jamais rien d’autre. Enfin si : un autre Martini blanc. Il en était  à son troisième et toutes ces histoires de chat commençaient à sérieusement lui remonter dans les bretelles. Il se sentait las, fatigué, usé, pour un peu il aurait fait grève. 

-Et ben le cheminot, faut se secouer le train arrière,  on va pas rester cul à quai. 

-On ne le retrouvera jamais votre chat, il a dû lui arriver une misère. 

Il griffonnait sur la photo de l’affichette, il s’était amusé à lui dessiner des moustaches, avec un stylo à quatre couleurs fourni par la compagnie des chemins de fer.

Il fallut toute la diplomatie contondante de la mère Michel pour l’arracher à sa morosité. Elle qui l’attrapa sous le bras, le secoua un peu pour faire tomber les dernières gouttes et  le remit sur ses pieds dans la direction que devait suivre son équipe de prospection. 

Mais le cœur n’y était plus. Depuis le petit matin, tout le monde en avait plein les bottes et la faim commençait à se faire sentir. Vers midi on décida de coller une dernière affiche chez Marcel, au bistrot, on était de retour dans le quartier. Ça sentait rudement bon, une odeur de civet de lapin, exactement ce qui manquait pour réconforter tout le monde.  

-Eh, Marcel, tu es sûr que c’est du lapin? C’est pas du chat au moins ? “ fit un gros malin qui se croyait drôle. Il n’en fallait pas plus pour que la mère s’affale sur le zinc comme un cachalot sur un banc de sable, un jour de grande marée :  -Minou-minou-minou Petit Minou mon minou…” 

-Buvez un truc, la mère Michel, ça vous remontera 

-Un Viandox 

-Je ne sais pas ce que vous voulez remonter avec un Viandox, buvez un vrai truc !

-Alors un triple-sec

Le triple-sec, une fois ça va, deux fois ça fait 6, et à 9 on commence à tutoyer les étoiles. La mère chaloupait gravement et se mettait à tenir des propos de plus en plus incohérents à propos de chats qui disparaissaient comme des fantômes, de sergents de ville qui mériteraient l’équarisseur et de concierge en fil de fer barbelé. Elle maudissait le ciel qui n’arrêtait pas de lui tomber sur la tête et le plancher qui n’arrivait pas à tenir en place. Puis elle s’écroula comme un arbre. Il fallut se mettre à quatre pour la remonter dans son réduit. Le môme guidait dans l’escalier : un peu plus à droite, un peu plus à gauche, ça ne passe pas, repliez les bras, serrez dans le virage. Finalement ils réussirent à l’affaler sur son lit. Et quand un ronflement de B52  commença à retentir, faisant trembler les vitres et vibrer les tuyauteries, ils comprirent que la nature avait repris le dessus et qu’il ne fallait plus s’en mêler.

C’est Gavroche qui a retrouvé la trace du chat de la mère Michel. Mais il n’a rien dit. Il s’était aperçu que la petite Anglaise du 6ème, celle qui habitait une chambre de bonne et étudiait la littérature comparée à Censier, s’était mise à acheter des boîtes de RonRon chez Lustucru. Comme ce n’était sans doute pas pour sa consommation personnelle, il fallait bien qu’elle ait un invité. Ça faisait longtemps que le greffier avait pris ses repérages. Quand il se fâchait avec la mère, il partait dans les étages, grattait à toutes les portes jusqu’à ce que l’une d’entre elles finisse par s’ouvrir. Et l’une d’entre elles finit par s’ouvrir sur une ravissante jeune fille qui s’adressa à lui avec un accent qu’il reconnut aussitôt, son sang de  british shorthair se mit en résonance avec son atavisme génétique, il se sentit immédiatement chez lui. Le logement était petit. Il n’y avait qu’un seul gros coussin confortable mais il était pour lui. Qu’un seul lit moelleux mais il voulut bien le partager inéquitablement. Entre ses rêves d’escapades et sa vie de pacha des mille et une nuits, il lui fallait choisir. Chat ou pacha, telle était la question. Il opta définitivement pour l’oisiveté et se laissa pousser l’embonpoint. Elle le gâtait, le câlinait, le cajolait, elle lui grattait la tête en lui chantant Brother John. Elle lui parlait anglais. Elle l’avait appelé Winston. Pour un peu, il aurait réclamé un cigare et du whisky. 

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